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DEUXIEME PARTIE : QUE FAIRE DU FAIRE ET« POUR-QUOI » FAIRE ?
I Définitions
Après les considérations théoriques de la fin de la première partie et avant d’illustrer l’intérêt de l’entretien d’explicitation, il convient de définir brièvement l’entretien d’explicitation lui-même et le cadre métacognitif dans lequel il s’inscrit.
A- Une approche métacognitive du savoir
Une connaissance, un savoir réellement maîtrisé suppose que l’enfant puisse expliquer la démarche qu’il a utilisée, en toute connaissance de cause. Le résultat compte mais il est tout aussi important que l’enfant puisse expliquer sa démarche. Pour ce faire, il est nécessaire que l’enfant ait une pensée claire de ce qu’il a fait et donc qu’il ait le vocabulaire le permettant de verbaliser sa procédure ; A titre d’exemple, considérons l’enfant en situation d’apprenti-lecteur. Les questions qu’il se pose concernant la matière qu’il découvre sont d’ordre cognitif. En revanche, celles qu’il se poserait sur son comportement de lecteur, son attitude face à un texte, les stratégies qu’il met en œuvre pour aborder l’écrit, serait d’ordre métacognitif, puisqu’elles auraient pour objet ses propres attitudes mentales. Mais la prise de distance nécessaire à ce type de questionnement est loin d’être naturelle et les mots pour verbaliser la pensée manquent souvent cruellement aux élèves. L’enseignant rencontre alors beaucoup de difficultés pour aider l’enfant à expliquer comment il a fait pour accomplir la tâche demandée. Conscient de ces difficultés, j’ai essayé de mettre en place des entretiens d’explicitation et j’y ai trouvé une aide précieuse pour surmonter (partiellement) ces difficultés. Mais qu’est-ce que l’entretien d’explicitation ?
B L’entretien d’explicitation : un échange a posteriori sur l’action
« Les techniques d’aide à l’explicitation visent à faciliter, à guider la description après coup du déroulement d’une action réalisée par une personne. Ces techniques peuvent être utilisées en situation duelle ou peuvent être intégrées à des situations de groupe. L’entretien d’explicitation n’est pas un outil de remédiation en tant que tel, même si, par la prise de conscience qu’il impulse, il peut être à l’origine d’un processus de changement. Il n’a pas pour vocation à se substituer à d’autres techniques ou à être utilisé seul, mais plutôt à être un complément, dans la pratique, sur des points où on recherche spécifiquement la description de l’action vécue dans sa dimension procédurale. » L’entretien d’explicitation constitue un ensemble de techniques qui ont pour but de favoriser, d’aider, de solliciter la mise en mot descriptive de la manière dont une tâche a été réalisée. Il vise donc en priorité la verbalisation de l’action, telle qu’elle est effectivement mise en oeuvre dans l’exécution d’une tâche précise. Bien entendu, le terme d’action ne recouvre pas seulement des actions matérielles, mais aussi les actions mentales »[1]. Pierre VERMERSCH, assigne trois objectifs à l’entretien d’aide à l’explicitation : s’informer sur les procédures utilisées par l’élève (ceci dans le cadre scolaire) ; aider l’autre à s’auto-informer et apprendre à l’autre à s’auto-informer.
J’ai découvert pendant cette année de formation cet outil que j’ai essayé d’expérimenter dans une CLIS. Je suis conscient que mes entretiens ne sont pas encore de véritables entretiens d’explicitations et qu’il me faudra encore le pratiquer pour le maîtriser plus convenablement, mais j’ai pu en extraire des informations pertinentes que je vais vous soumettre tout au long de la fin de la deuxième partie du mémoire.
II L’analyse de l’action, une mine d’informations pour :A- Guider plutôt que tirerDans la première partie, je nous mettais en garde quant à la tentation de « plaquer » nos représentations sur celles des élèves au risque de les noyer par un système de compréhension bien des leur. On cherche alors à les tirer vers les savoirs experts sans connaître leurs logiques, leur cohérence. En revanche, en aidant l’enfant à prendre de la distance sur son travail et en l’aidant à verbaliser son action on cerne mieux comment il agit. Ainsi, fort de cet apport d’information, l’enseignant pourra mieux guider l’enfant dans ses apprentissages. Pour illustrer cela, je m’appuierai sur un entretien d’explicitation (CF. annexe Ia) que j’ai eu avec un enfant de neuf ans dans une CLIS. Cet entretien a fait suite à un problème soustractif qu’il devait résoudre en s’aidant d’une fiche guide (CF. annexe Ib) et d’une feuille de brouillon. L’élève devait déterminer le nombre de moutons blancs sachant qu’il y avait 21 moutons en tout, dont 7 noirs. On attendait de lui 21-7=14 ce qui n’a pas été sans poser quelques problèmes. En lui proposant de retracer son action, voilà ce qu’il ma dit :(m=maître ; E=élève ; R= réplique) 4.E – Et j’ai commencé le travail et pis quand j’ai commencé j’avais fait euh… 7+14, j’ai euh 14 moins euh… c’était 14. 5.M – 7+14 ça faisait 14 ? 6.E – Non 7+21 ça faisait euh, euh, 21 ; 14 j’veux dire … 7.M – Attend 7+21 ça faisait 14 ? … Est-ce que tout de suite tu as commencé par une opération ? 8.E – Euh… 9.M – Lorsque tu as reçu ta feuille. 10.E – Oui, d’abord je me suis aidé, j’ai fait comme je viens de dire 7+21 égale…14…Non j’ai pas fait 7+21, j’ai fait…7+euh…J’ai compté de 7 à 21. 11.M – Oui. 12.E – ça faisait 14 après j’ai mis mon moins ça faisait euh, parce que maintenant je fais les soustractions et j’ai mis moins (le signe opératoire) et ça faisait… J’ai mis 21 moins… moins
22.E – Ben d’abord j’ai fait dans ma tête 7+… 7 après j’allais jusqu’à 21 ça faisait 14. Puis après c’est là que j’avais mis le moins, j’me suis un petit peu aidé sur la feuille puis après j’l’ai mis sur le cahier du jour. J’ai mis 21-14 ça faisait. Puis après il me demandait de poser l’opération, j’l’ai posée dans le cahier du jour euh… non avant sur la feuille et puis après j’l’ai mis sur le euh…après il me disait de mettre, il me disait de mettre toute la phrase combien reste-t-il de moutons blancs tout ça.
31.M – Mmh… et comment tu as fait pour poser l’opération ?
32.E – Ben un moment on m’a demandé de la poser.
Manifestement cet enfant vacille entre l’utilisation d’une addition et d’une soustraction. Il est « embrouillé ». Il sait qu’actuellement il travaille la soustraction (R12) et qu’il va certainement en avoir besoin, mais il procède mentalement par surcomptage (fin R10). Ce conflit l’a induit en erreur dans un premier temps. Il commence par écrire 7 sur son cahier (CF. annexe Ib), ce qui correspond à sa procédure de surcomptage. Mais rapidement, il se rend compte que ce n’est pas possible puisque 7 est le plus petit des 3 nombres (à savoir 7 ;14 ;21) et qu’il doit utiliser le signe moins car il « apprend les soustractions ». Dès lors, il reécrit 21 par-dessus et écrit le signe moins. Tout ceci, alors que mentalement et dès le début il avait résolu le problème (il le précise dans R22). Sa difficulté n’était pas de résoudre la situation mathématique qui lui était proposée. Par contre, il éprouvait certaines difficultés à transposer une procédure de surcomptage en soustraction tout en respectant le sens de chaque nombre. En effet, 14 était attendu comme le résultat de l’opération et non comme l’élément soustrait à 21. Le guider dans son apprentissage serait alors de lui proposer un travail de transposition entre des soustractions et des additions à trou afin d’atténuer la confusion entre ces deux modes opératoires. Ce qui lui permettrait de donner plus de sens aux valeurs de position de chaque nombre dans les écritures canoniques.
B – Optimiser la différenciation
Dans l’enseignement spécialisé, une de nos missions est d’ « exercer auprès des élèves handicapés ou en difficultés, toutes les missions d’un enseignant, en s’appuyant sur les valeurs du système éducatif, en recherchant, pour chacun, les conditions optimales d’accès aux apprentissages scolaires et sociaux dans des contextes professionnels variés. »[2] Rechercher pour chacun les conditions optimales d’accès aux apprentissages implique une connaissance fine de chaque enfant en déterminant ce qu’il sait faire seul, ce qu’il ne sait pas faire et surtout ce qu’il arrive à faire avec de l’aide. C’est cet espace, que VYGOTSKY appelle la zone proximale de développement, et qui est, en quelque sorte, notre point de départ pour aborder les apprentissages. En effet, c’est dans cette zone que se situent les savoirs en cours d’acquisition pour lesquels l’enseignant met en œuvre des stratégies de travail afin que l’enfant acquière des connaissances et puisse les utiliser seul à bon escient. Cependant, dans la pratique, il n’est pas toujours évident de percevoir la zone proximale de développement. L’entretien d’explicitation utilisé dans le paragraphe précédent m’encourage à penser que la verbalisation de l’action peut être une aide précieuse quant à la détermination de la zone proximale de développement et surtout, si ce qu’on propose est pertinent ou non. En observant ce que cet élève a écrit dans son cahier du jour (CF. annexeIb) on constate qu’il a répondu au problème dès la première phrase, qu’il a ensuite écrit l’opération en ligne, pour finalement répondre à nouveau à la question par une phrase. D’ailleurs, lorsque l’enfant explique quelle a été sa procédure (R22) il dit bien que juste après avoir lu l’énoncé il avait déjà trouvé la réponse mentalement sans avoir besoin de s’aider de la fiche guide. Plusieurs fois pendant l’entretien (R12 ;R18 ;R22 ;R32), il précise qu’il faisait certaines choses parce qu’on les lui demandait sur la fiche. Il est clair que ce problème ne correspond pas pleinement aux besoins de cet élève qui est capable d’y répondre juste par calcul réfléchi et très rapidement. La fiche guide devient alors une difficulté supplémentaire puisqu’elle a semé le trouble dans l’action de l’élève. Pourquoi devrait-il suivre à la lettre ces différentes étapes alors qu’il avait tout de suite la réponse ? Son désir de bien faire, donc de suivre la fiche guide, explique pourquoi il a rédigé de la sorte sa réponse. Il va de soi que la fiche a beaucoup d’intérêt, mais alors avec un autre problème de mathématique. Ainsi, l’élève aurait une aide méthodologique, décrivant les étapes à suivre, qui lui permettrait de surmonter les difficultés du problème. Par exemple un problème faisant intervenir la soustraction et l’addition : « Monsieur FERNAND avait un troupeau de 21 moutons. Il en a racheté 9. A présent, il a 7 moutons noirs et les autres sont blancs. Combien y-a-t-il de moutons blancs dans le troupeau ? » Certes, l’entretien ne m’a pas permis de déterminer sa zone proximale de développement mais illustre, a mon sens, bien les situations où l’enseignant, voulant aider l’élève, propose des outils qui malheureusement n’aident pas et au contraire compliquent la tâche inutilement. VYGOTSKY parle alors de situation de sur-étayage.
Différencier notre approche pour chaque élève suppose que l’on puisse connaître et prendre en compte les singularités de chacun. Qu’est-ce qui pose généralement des problèmes à cet élève ? Pourra-t-il rester concentré suffisamment longtemps ? Est-ce que le thème abordé le motive ? Mémorise-t-il mieux lorsqu’il voit ou lorsqu’il entend ? Utilise-t-il plus sa mémoire visuelle ou auditive ? Ce sont ces deux dernières questions que je vais essayer d’exploiter dans ce qui suit[3]. Lors de mon stage en CLIS j’ai pratiqué deux autres entretiens d’explicitation[4], avec un autre élève, portant sur la dictée (CF. annexe IIa) qu’il avait fait deux jours auparavant. Les deux tiers de la classe dont cet élève complétaient un texte à trous alors que les autres écrivaient intégralement la dictée. Ce travail faisait suite à quinze jours d’apprentissage autour du son [in] et des graphies associées. En observant sa copie (CF. annexe IIb) mon souci était de comprendre comment il opérait les relations entre les graphèmes et les phonèmes. 59.M – (rappelle chronologique de ce que nous avons fait jusque là) …il était grand, petit le mot ? 60.E – Il était petit. 61.M – Donc tu as un mot petit dans la tête. Qu’est-ce que tu en as fait après ? 62.E – Après ? 63.M – Ouaih. 64.E – Après j’ai relu dans ma tête et puis pour pas me tromper j’ai redit les lettres et j’ai écrit sur la fiche. 65.M – D’accord tu as relu dans ta tête, tu as redit les lettres et tu as écrit dans le cahier. Au moment ou tu as relu dans ta tête comment tu as fait ? 66.E – Comment j’ai fait ? 67.M – Oui. 68.E – En fait, la première foi, je dis le mot après j’ai redis pour pas me tromper. Ben j’me suis dit j’vais le redire comme ça j’aurai pas de faute. 69.M – Et quand tu l’as lu, tu l’as redit dans ta tête. 70.E – J’l’ai relu ouaih. 71.M – Tu l’as relu ou redis ? 72.E – j’ai relu. 73.M – Alors au moment ou tu l’as relu comment est-ce que tu as fait avec le mot pour le relire ? 74.E – Et ben… j’ai fait… en fait j’ai fait euh… j’me suis rappelé du mot après j’ai dis le mot j’ai enregistré, après je le dis tout le temps.
Pour essayer de comprendre sa procédure le questionnement portait essentiellement sur l’écriture d’un seul mot à la fois de la dictée. Son comportement ( gestuelle et orientation du regard) laisse penser qu’il faisait appel à sa mémoire auditive (CF. note de bas de page P.21) mais le vocabulaire sensoriel utilisé renvoyait aussi à la mémoire visuelle (CF. R64, R68, R70, R72). Cela peut paraître normal, car nous ne somme pas entièrement « visuel » ou « auditif » ; nous avons seulement des dominantes. Cependant, il me semblait que ce qu’il se remémorait visuellement pendant la dictée ne l’aidait pas à choisir la bonne graphie. J’avais ce sentiment à la fin du premier entretien et c’est ce qui m’a poussé à en faire un second :
125.M – Alors, qu’est-ce que tu as fait à ce moment là ? 125.E – A ce moment là ?... Ben j’ai réfléchi dans ma tête si j’avais le cinq. 127.M – Si tu avais le cinq. Et comment tu as fait pour réfléchir dans la tête, qu’est-ce qui s’est passé ? 128.E – J’ai fermé les yeux. 129.M – Oui. 130.E – Et puis j’ai essayé de réfléchir. 131.M – Oui. 132.E – Et après j’ai regardé dans ma tête et puis j’ai vu le nombre cinq et après j’ai lu lettre par lettre et puis j’l’ai écrit en attaché. 133.M – D’accords. Donc tu me dis que tu as lu lettre par lettre. J’aimerai que tu m’expliques plus en détails, si tu veux bien, le moment ou tu as lu lettre par lettre. Comment ça c’est passé, qu’est-ce que tu as fait ?... (long silence) C’était le mot cinq 134.E – Ouaih, cinq. Et ben quand j’ai lu lettre par lettre j’ai fait comme d’habitude : j’avance, je le lis, après je recule, je lis et puis euh dès que j’étais sûr que c’était le mot là je l’écris sur la feuille. 135.M – Tu m’as dit j’avance je le lis puis après je recule qu’est-ce que tu veux, dire par là ? 136.E – Ben en fait moi je voulais dire j’avance parce que je voulais pas dire je recule, j’voulais dire j’avance, je vais en arrière, j’avance je vais en arrière. 137.M – Ouaih mais comment tu vas en avant et en arrière ? 138.E – Le mot je le lis ; après y a un autre mot derrière, alors j’enregistre après je relis. 139.M – Le même mot ? 140.E – Ouaih. 141.M – Et quand tu vas en arrière qu’est-ce que tu fais (long silence, il recherche à nouveau). 142.E – Quand je vais en arrière ? 143.M – Oui.
144.E – Euh je fais… En fait je regarde dans ma tête mais ça j’l’ai déjà dis et puis comment je fais pour reculer en arrière ? Comme il y a le mot en avant, comme y en a un derrière. 145.M – Oui. 146.E – Alors c’est pas celui là, celui de derrière, et après je recule. 147.M – Tu recules et tu recommences à lire.
171.M – Tu as écrit, qu’est-ce que tu as écrit ? 172.E – Coussin 173.M – Comment tu l’as écrit ? 174.E – G-O-U-S-I-N 175.M – Mmh…D’accord Bien on va arrêter là. Ah juste une petite chose, comment tu à écris le mot quinze juste avant quant tu l’as écrit? 176.E – (IL commence par donner la lettre Z puis) Non ! G-I-N-Z-E.
Résumons sa procédure d’écriture : il entend le mot qu’il doit copier ; il ferme les yeux (R128) ;il recherche et voit le nombre cinq (R132) ; il lit les lettres, puis les épelle et relit plusieurs fois le mot mentalement (R132 à R147) ; pour finir, il écrit le mot. En somme, après avoir visualisé un graphème pour l’associer à un phonème, il le transcrit sur sa feuille. Ce qui m’a frappé ici, c’est que dès qu’il a choisit un graphème, il l’utilise de façon récurrente pendant un certain temps. En effet, il a écrit de la même façon le son [in] dans coussin (quousim) et cinq (simque) (CF. annexe IIb). J’ai voulu m’assurer de cela à la fin de l’entretien (R171 à R176) et c’est pourquoi je lui ai demandé de m’épeler quinze juste après qu’il m’ait épelé coussin. Il a utilisé le même graphème pour écrire le son [c] avec la graphie –G- alors que sur son cahier, deux jours auparavant, il avait choisi, pour les deux mots, la graphie –QU-. Je ne pense pas que cela permettra à l’enfant de surpasser aisément ses difficultés par rapport à la relation lecture écriture, mais il me semble important de faire le bilan de ces deux entretiens avec lui. En s’appuyant sur ce qu’il a dit, il pourra prendre plus facilement de la distance face à ses difficultés. De là, les travaux de remédiation que proposera l’enseignant auront plus de sens pour lui qui s’investira d’autant plus. Ainsi l’entretien d’explicitation permet d’établir une relation d’aide personnalisée plus explicite pour l’enseignant et l’enfant.
J’ai exposé, jusqu'à présent, des exemples qui permettaient essentiellement à l’enseignant « d’affiner » son travail. Mais cet outil peut aussi servir à l’enfant pour mieux s’informer sur ses pratiques et s’auto-évaluer. C L’enfant
« Rendre compte oralement de la démarche utilisée, en s’appuyant éventuellement sur sa [feuille de recherche] »[5] est une des compétences attendues à la fin du cycle deux. Nous devons donc aider l’élève à verbaliser ses procédures, ce qui implique nécessairement une prise de distance par rapport à l’activité. Cette démarche n’est pas forcément naturelle pour l’élève qui devra alors s’y être entraîné pour que cela devienne une habitude. La mise à distance qu’implique l’entretien d’explicitation peut, à mon sens, aider l’élève à acquérir ce type de compétence. Bien entendu, avec une pratique régulière en situation duelle ou en groupe. Certes, je n’ai pas pu en pratiquer régulièrement sur plusieurs mois afin d’en évaluer plus correctement l’intérêt et l’efficacité,mais certains passages des interviews, cités dans les pages précédentes, me font penser qu’il y a là quelque chose à exploiter. Pour plus d’aisance je me permets de citer à nouveau les différents passages utiles à mon argumentation. 4.E – Et j’ai commencé le travail et pis quand j’ai commencé j’avais fait euh… 7+14, j’ai euh 14 moins euh… c’était 14. 5.M – 7+14 ça faisait 14 ? 6.E – Non 7+21 ça faisait euh, euh, 21 ; 14 j’veux dire … 7.M – Attend 7+21 ça faisait 14 ? … Est-ce que tout de suite tu as commencé par une opération ? 8.E – Euh… 9.M – Lorsque tu as reçu ta feuille. 10.E – Oui d’abord je me suis aidé, j’ai fait comme je viens de dire 7+21 égale…14…Non j’ai pas fait 7+21, j’ai fait…7+euh…J’ai compté de 7 à 21. 11.M – Oui. 12.E – ça faisait 14 après j’ai mis mon moins ça faisait euh, parce que maintenant je fais les soustractions et j’ai mis moins (le signe opératoire) et ça faisait… J’ai mis 21 moins… moins
22.E – Ben d’abord j’ai fait dans ma tête 7+… 7 après j’allais jusqu’à 21 ça faisait 14. Puis après, c’est là que j’avais mis le moins, j’me suis un petit peu aidé sur la feuille puis après, j’l’ai mis sur le cahier du jour. J’ai mis 21-14 ça faisait. Puis après il me demandait de poser l’opération, j’l’ai posée dans le cahier du jour euh… non, avant sur la feuille et puis après j’l’ai mis sur le euh…après il me disait de mettre, il me disait de mettre toute la phrase combien reste-t-il de moutons blancs tout ça.
Dès le début de l’entretien j’invite l’enfant à expliquer sa procédure de résolution (R4 à R12). Il est très confus, mélange les nombres, ne sait pas clairement dire s’il a utilisé l’addition ou la soustraction. Mais cette verbalisation n’était pas veine puisque cela lui a permis d’expliquer comment il a fait de façon beaucoup plus claire quelques répliques après (R22). Il a été capable de mettre en mot une pensée qui n’était pas très claire au début et ainsi il s’est auto-informer sur la procédure qu’il a utilisée. De là, je fais l’hypothèse que ce genre de travail l’amènera à comprendre mieux comment il procède, ce qui lui permettra de mobiliser et d’utiliser plus justement ses compétences lorsqu’il en aura besoin. Mais, pour verbaliser sa procédure, l’enfant doit pouvoir communiquer sans quoi il sera impossible d’établir un contrat de communication, première étape de l’entretien d’explicitation.
III Les limites d’utilisation de l’entretien d’explicitation
A Des raisons techniques
En conclusion du paragraphe précédent, je faisais allusion à la nécessité d’établir avec l’enfant un contrat de communication sans lequel il n’est pas possible de mettre en place un discussion autour de l’action : « La situation de l’entretien est un type de conversation particulière dans laquelle la dissymétrie des rôles fait que l’intervieweur peut être à l’origine de nombreuses sollicitations et contraintes…Ce qui implique dans la pratique un guidage, directif si nécessaire, pour aborder le domaine de la parole pertinent et la position de parole qui permet d’y accéder. Par ailleurs nous touchons à des informations dont le sujet lui-même n’est pas encore conscient, puisqu’il s’agit de connaissances qui sont encore en acte. Tous ces éléments pointent une évidence : avec ce questionnement, nous pénétrons dans l’intimité psychique du sujet, nous abordons sa pensée privée. Il n’est déontologiquement pas souhaitable et, techniquement, pas possible d’aller dans ce domaine sans précautions ni garanties pour l’interviewé. Dans la pratique cela signifie mettre en place dès le départ un contrat de communication explicite. »[6] Cet impératif déontologique et technique rend la tâche très difficile voire inconcevable avec des enfants qui n’entrent pas en communication avec l’extérieur, ou pour des enfants dont la représentation de la réalité est biaisée par leur maladie mentale ou leur souffrances psychiques. Je pense particulièrement à deux ou trois élèves de l’an dernier avec lesquels j’ai passé la plupart de mon temps à essayer d’établir une communication verbale sans grand succès. Cependant, il est certain qu’ils profitaient du « bain communicationnel » lorsqu’ils étaient dans la classe mais j’étais incapable d’en évaluer la portée. Même s’il me paraît difficile d’utiliser l’entretien d’explicitation en situation duelle avec eux, je pense qu’ils profiterons aussi d’une certaine façon des situations d’entretiens collectif faisant suite à une activité. Mais là aussi dans quelle mesure, je ne sais pas. Néanmoins j’espère pourvoir préciser cela l’année prochaine en pratiquant l’entretien d’explicitation, en situation duelle ou collective, régulièrement, tout au long de l’année scolaire.
Malgré les limites exposées ci-dessus, je crois que l’entretien d’explicitation me sera d’une aide précieuse dans mon travail. Ceci car une des qualités principales que je lui octroie c’est de faire verbaliser l’acte d’apprentissage permettant ainsi à l’enfant de mieux discerner ce qu’il sait et ce qu’il ne sait pas. En conséquence, pour une grande partie des élèves, le projet pédagogique individualisé, déterminant les objectifs à atteindre et les moyens, sera beaucoup plus impliquant puisqu’il sera construit à partir de ce qu’exposera l’élève. Finalement, j’entrevois dans l’entretien d’explicitation la possibilité de rendre l’apprenant plus acteur de ses apprentissages.
[1] Bulletin de promotion des stages – Pierre VERMERSCH et Catherine LE HIR [2] Référentiel des compétences du CAAPSAIS (US1 et US2) [3] La technique d’entretien d’explicitation utilise les indices extra verbaux développés par les études en programmation neurolinguistique. Ainsi, l’orientation du regard de l’interviewé permet de discerner s’il fait appel à la mémoire visuelle ou auditive. Il en est de même pour le vocabulaire sensoriel utilisé (voire, lire, regarder, entendre…).
[4] Pour des raisons techniques de lisibilité, la numérotation des deux entretiens d’explicitations s’enchaîne. Le 1er va de R1 à R116, le 2nd va de R117 à R177 [5] Les nouveaux programmes – Ministère de l’Education Nationale - 2002 [6] L’entretien d’explicitation en formation initiale et en formation continue – P.108– Pierre VERMERSCH – ESF éditeur 1994 |